J'ai survécu à un concert des Mountain Men au Grand Lemps.
- Publié dans Chartreuse Express
"J'ai
survécu à un concert des Mountain Men au Grand Lemps."
Un truc de dingue. Une idée
à la con, quitter la ville pour aller voir un concert. Pfff, n'importe quoi.
J'avais décidé en ce samedi 28 novembre 2015,
de dépasser la barrière de péage de Voreppe, de quand même rester sur la
Highway 48 (je suis pas fou non plus), et de m'enfoncer fébrilement dans les
terres du nord.
Les terres froides.
Rien que de vous en parler j'en ai la chair
de poule.
Un retour au moyen-âge. Des gens assis sur
leur tas de patates à regarder les étrangers comme des voleurs. La culture de
village se résumant à un bibliobus rempli de toute la collection Arlequin.
Et je m'arrête là car ensuite on atteint le
point Godwin.
Bref, je m'attendais à voir des vieux
bourrins tirer un corbillard quand j'ai pris la route départementale.
Mazette.
Ça a duré une éternité. J'ai calculé que ça
devait être la distance Terre-Lune, environ.
J'ai même du traverser un village pour y
arriver.
Colombes.
Personne.
Rien.
Je ne sais même plus si j'y ai vu une maison.
De quoi vous colorer une peur en bleu.
Arrivé sur la place du village du Grand-Lemps
ça s'est un peu compliqué. J'avais pas l'adresse évidemment. Sur Google Map ils
m'ont dit "rue de La plaine."
…
Alors, le nom de la salle s'appelle La Grange
; adresse, rue de La Plaine.
Super.
Bordel, mais qu'elle idée j'ai eu bon sang de
bois…
J'ai donc du m'arrêter au bar des Amis, sur
la place du Château.
Pour parler aux gens, j'ai pris mon courage à
deux mains et un accent un peu villageois que j'avais entendu à un spectacle de
Pappagali.
Dans le bistrot, il y avait plus de verres de
Ricard sur le comptoir que de clients dans la salle. Je m'essaie, de tête, à un
calcul compliqué pour comprendre l'astuce, pis j'entends : "Rue de La
Plaine ?! C'est au fond du couloir à droite ! Mouarff, hahaha..!!" (Rire
général).
Heu…ben, bonne ambiance en fait, ici, du
coup.
Heureusement, le patron a les yeux en face
des trous et m'indique un chemin clair et précis.
A droite, Lidl, rond point, Gendarmerie, La
Grange.
Merci bien ! Au revoir ! Non, je m'attarde
pas, je suis déjà en retard, une prochaine fois !
En fermant la porte, j'entends au loin :
"Ha c'est gens de la ville…toujours…"
Pas entendu la suite.
Donc le Lidl, la gendarmerie…et…
Un Zénith.
Flambant neuf.
Je ne sais pas si c'était le fait qu'il n'y
ai rien autour, mais devant moi, un bâtiment gigantesque. Genre à l'intérieur,
on aurait pu y organiser les 24 heures du Mans.
J'apprendrais plus tard qu'on fait tout là
dedans. Gymnase, crèche, école, église, Mairie, Intermarché et salle de concert
donc.
Je paie mon dû à une petite mamie
bienveillante qui me propose également une part de son quatre quart délicieux
et me voilà dans la salle.
Pleine.
Pleine à craquer, comme dans une BD de
Tintin.
De 7 à 77 ans. Des gosses
qui courent partout, des vieux en pleine méditation pré-purgatoire, des couples
de jeunes beaux, des motards, des conscrits proches du coma éthylique, un
enterrement de vie de garçon, la buvette battant son plein, des parfums, des
habits du dimanche fraîchement repassés… La fête.
Comme Fleur Pélerin je me
tape la première partie, Cincinnati Slim ; un bon chanteur qui comme son nom
l'indique, vient de l'Ohio ; et, qui, avec son band, nous a gratifié d'une
belle prestation dont je n'ai pas grand chose à dire.
Tous ceux qui ont vu les
Mountain Men savent de quoi je vais parler à présent. De la vrai magie. Osmose
totale. Deux personnes sur scène qui se complètent comme une bière et une
clope, comme un Saint Félicien et un Châteauneuf-du-pape, comme une pelle et 30
centimètre de neige devant la porte.
Même eux n'y sont pour rien. Ils ont juste eu
l'intelligence et le talent de donner suite à leur première rencontre.
Leurs interventions
entre les morceaux est un sketch à lui tout seul. L'harmoniciste, rêveur et
poète, toujours un truc important à dire pour sauver le monde, n'a
malheureusement pas la morphologie buccales pour les exprimer. A trop souffler
dans ces instruments, il en oublier que la langue n'est pas fait QUE pour
boucher les trous d'un harmonica. Ce qui fait qu'on ne comprend pas tout ce
qu'il dit, juste l'essentiel. Cela rend l'affaire d'autant plus charmante.
Assis à coté, le chanteur
guitariste à une mission. Celle de faire le lien entre la scène et le public.
Et, coûte que coûte, même s'il doit y laisser sa vie, il y arrivera.
C'est un peu le Rocky Balboa de la chanson.
Oui, on le sent capable de boire sept oeufs crus avant de monter sur scène pour
arriver à être au meilleur de lui-même. Avec sa tête de Roi Sparte et sa
carrure de guerrier, on a bizarrement pas d'autre obligation que de l'écouter
quand il chante. Le bout de bois accordé qu'il tient dans les mains n'a qu'à
bien se tenir.
Il n'est pas uniquement
question de Blues dans leur répertoire. Les Mountain Men font de la chanson
folk, pop, rock à inspiration anglo-saxonne, et lorsque l'on écoute
"Moving Forward" ou "13", sur leur dernier album, on
comprend également les influences Metalurgique du chanteur.
Brillant dans la douceur, prouvé par des
compositions comme "Gonna Waltz" qu'à ma grande déception ils n'ont
pas joué, l'apothéose du poil dressé et de la tête sur l'épaule du conjoint
arrive avec la reprise de "Georgia on my mind" vocalement totalement
maîtrisé où le solo d'harmonica finit par asseoir tout le monde. Des
applaudissements qui dureront cinq bonnes minutes à l'issue du morceaux nous
feront sentir une petite brise dû au soupir de satisfaction venant directement
du paradis où repose Genius.
Ne manquant pas de bousculer
leur public, ils arrivent finement, à leur expliquer qu'à force de regarder
BFMTV ou La Nouvelle Star, on devient très très très con. Rires aux éclats mais
le message est passé.
Moi, je me dis que c'est pas vraiment leur
faute à tous ces gens, c'est pas eux qui mettent les bouquins dans le
bibliobus. Et puis il est loin le temps ou des Brel et des Brassens faisaient
360 concerts par an, n'oubliant aucune des salle des fêtes de ces villages
reculés. C'est vrai qu'entendre "C'est gens là" ou "mourir pour
des idées" devaient en faire réfléchir plus d'un. Mais voilà, la TNT a
remplacé ce spectacle vivant et les trop fiers artistes d'aujourd'hui ne se
déplacent plus que dans les grandes villes où le nombre élevé d'habitant rempli
plus avantageusement les caisses des métiers du spectacle.
A regarder leur tournée qui
n'oublie absolument pas cette belle population rural, j'espère du fond du coeur
que les Mountain Men feront des bébés, et que les artistes qui ont un tant soit
peu de succès, ne se réfugieront pas, comme d'habitude, dans un placard d'une
grosse maison de disque sans coeur, mais joueront plutôt la carte de
l'artisanat et des valeurs humaines. Etre militant se résume à pas grand chose
si je comprends bien.
Et à voir les sourires des gens en sortant de
la salle, il est sûr que le lendemain matin, tous les habitants du Grand Lemps
partageront sans nul doute leur récolte de patates.
Moi de mon coté, je suis
retourné au Bar des Amis, qui portait bien son nom d'ailleurs. J'ai pas résolu
la subtile équation mathématique du nombre de verres avec le nombre de clients,
mais une chose est sûr, quand je vous ai dit avoir survécu à cette soirée au
Grand Lemps, et bien je vous ai bel et bien menti.